mardi 30 septembre 2014

Introspection

-          Voilà, encore une fois, j’ai tout gâché.  C’est con, je savais, je savais avant de les prononcer que ces mots-là n’étaient pas les bons. Mais je les ai dits. Comme si je plantais moi-même ce poignard dans mon ventre, comme si je le retournais, pour voir si ça fait vraiment mal.
-          Allons, cette histoire était mal engagée, c’était couru d’avance, ce gâchis.
-          C’est moi qui ai tout gâché.
-          Ça te plait, de t’apitoyer ?
-          Non, mais je sais reconnaitre mes responsabilités.
-          Ben voyons. Ce n’était pas possible, je le sais bien.
-          J’aurais pu agir autrement, je le sais aussi.
-          Et te trahir ? Elle ne t’aurait pas aimé si tu étais devenu un autre. C’est toi, fidèle à ce que tu es, qu’elle aimait.
-          M’a-t-elle seulement aimé ?
-          Bien sûr. C’est pour ça que ça fait mal.
-          J’aurais voulu m’écraser, pour une fois. Ça aurait tout sauvé.
-          Non. Elle ne serait pas restée avec une larve. Pas un homme, mais un pauvre clébard, agitant la queue en espérant un pardon ? Elle ne t’aurait pas jeté un regard. C’est son amour que tu voulais, pas sa pitié.
-          Peut-être. J’aurais pu être généreux. Je n’ai pas su, pas pu.
-          De la générosité ? Tu crois ça ? De la connerie, oui, et en couche épaisse. C’était foutu d’avance, je te dis.
-          Décidément, je ne sais pas vivre une belle histoire.
-          Tu ne sais pas les vivre, ou tu as choisi de ne pas les faire durer ?
-          Je ne sais pas faire durer ces histoires. Il arrive toujours un moment où j’ai besoin de tout ruiner.
-          C’est un bon résumé d’ensemble. Et en même temps, y avait-il une autre solution ?
-          Il y a toujours une porte de sortie.
-          Mais elle n’est pas toujours acceptable. C’est un peu facile, je trouve, ta tragi-comédie. Oh pas assez de passion pour mériter un drame, mais juste assez pour provoquer un beau gâchis et en souffrir. Tu es bien dans le rôle du héros torturé, je trouve. Comme si tu étais le seul acteur de cette histoire, que les autres n’avaient pas leu libre arbitre, qu’ils ne pouvaient pas décider que c’est fini.  Elle avait peut-être, sans doute, sûrement, envie de s’échapper de cette histoire.
-          On peut tout sacrifier quand on aime vraiment.
-          Oui, et se trahir.
-          Ou aller jusqu’au fond du fond, et tirer de soi les ultimes ressources d’aimer sans raison et sans contrepartie, ne rien attendre, et s’offrir aux flammes de cette ordalie, traverser les braises et renaitre encore, s’oublier et devenir tout entier sa seule passion.
-          Le vin t’est monté à la tête, et tu es descendu bien bas.
-          Pourquoi pas ?
-          Parce que tu n’es pas Tristan, et elle pas Brunehilde. Bon, je me mélange un peu, mais c’est l’idée. On n’aime pas seul. Vous étiez sur le bord de l’abîme, en permanence, sur un fil fragile et elle s’est lassée de ce vertige. Est-ce si difficile à reconnaître, que tu n’étais pas le seul à décider ?
-          Il faut être deux pour construire, mais c’est vrai, il n’en faut qu’un seul pour démolir.
-          Et tu serais le seul ? Tu tiens les rênes et tu maitrises tout ?
-          Non, la preuve. Mais c’est moi qui ai précipité la fin.
-          Ce n’est pas fini. Tu peux ramasser les lambeaux de ton ego et tout retenter.
-          Je ne peux pas ravaler les mots que j’ai dits. Je ne lui voulais que du bien, je voulais l’entourer, la protéger, la rendre heureuse. 
-          Dans la ouate ?
-          J’ai prononcé des mots durs, des mots blessants, des mots sans retour.
-          Oui, c’était grandiose. Mais si les murs se sont écroulés si vite, c’est que les fondations n’étaient pas bien solides. Tu as bâti ton bonheur sur du sable et la première marée l’a emporté.
-          C’était une belle plage.
-          Où la mer, sans cesse, a brisé ses tempêtes.  Une belle plage, exposée à la fureur des éléments. Comme un petit garçon, tu as sorti ta pelle et ton seau et tu lui as offert un château de sable. Une tente parait plus durable.
-          Tout ce que nous avons partagé
-          A été emporté par la brise et les vagues. On peut regarder le soleil se lever sur la plage, ou à la rigueur s’y coucher, selon l’orientation. On ne peut pas y habiter. Il ne te reste que des souvenirs amers, qui vont t’empoisonner la vie un petit peu, assez de remords pour te donner encore un peu plus envie de te calfeutrer, assez de regrets pour en baver des mois, et la perspective de chercher, encore une fois, celle qui te touchera assez pour te faire sortir de ta carapace. Et tu la voudras libre, dans une belle illusion, avec la détestable tentation de tirer encore une fois les fils, d’orienter vos vies, de t’attribuer le mérite de vos joies et la responsabilité de vos chagrins.
-          Tu divagues.
-          Tu aimeras, encore, bien sûr, il n’y a pas encore assez d’indifférence en toi pour ne pas tomber dans un sourire.
-          J’ai peur d’avoir mal.
-          C’est que tu es vivant. L’amour, ça fait mal. Toujours. Jusqu’au fond de l’âme.
-          J’ai mal.
-          C’est que tu es encore plus vivant.  D’échec en échec, tu t’abandonnes moins.
-          Je suis prudent.
-          L’amour ne l’est pas : il est aveugle, il ne sait pas où il va, et il accepte de se cogner, de rencontrer un obstacle et de s’y blesser.
-          Tu deviens sentimental, tu m’emmerdes.

-          C’est déjà ça. 

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