Tu ne veux plus sortir, tu n’as pas envie d’aller au
théâtre, au concert. Tu t’appuies sur ta fatigue, sur tes corvées comme sur des
béquilles. Tu tournes, tu tournes et tu t’égares en d’inutiles tâches
domestiques, puis tu t’avachis sur le canapé devant des insanités. Tu tapotes
ta bouée en minaudant et tu souris d’imbécile béatitude. Oh, ce ne sont pas tes
« poignées d’amour » ou tes trois tailles de soutif que je regrette,
c’est cette existence sédentaire où tu te complais. Tes kilos en trop, c’est
ton assurance-affection, ton petit plus si maternel, le poids du contrat qui
nous lie, la masse du boulet que tu es devenue dans mon quotidien.
Tu n’as pas ouvert un livre, un journal, un magazine depuis
des semaines. Toi qui m’entrainais dans des discussions interminables sur la
prose de tes auteurs préférés, toi que j’ai vu la larme à l’œil, pleurant de
bonheur sur une phrase bien tournée, sur un roman qui te plaisait. Sur la table
basse traine un torchon que tu as piqué chez le coiffeur le mois dernier. Je
n’appelle pas ça de la lecture, d’ailleurs il n’y a que des images dans cette
insane publication. Encore heureux que tu ne l’aies pas acheté. Mais ça t’a
fait plaisir de parcourir en gloussant ces pages pleines de photos, et moi ça
m’a donné envie de vomir. Tu t’intéresses à ton monde intérieur, à cet espace
qui se situe à quelques mètres de ton nombril. Souvent, j’ai l’impression
d’être plus loin que ça, hors de ta portée, hors de ton champ de vision. Et si
tu savais combien j’ai envie en ce moment d’être encore plus loin, beaucoup
plus loin !
Je n’ai même pas l’excuse d’avoir envie de te tromper.
Aucune autre femme ne m’attire. Aucune femme ne m’attire plus, et surtout pas
toi. A coup d’habitudes lasses et de compromissions, tu as fait de moi un
eunuque. Et je me demande s’il ne serait pas plus confortable de te ressembler.
Tu n’as pas plus de désirs que d’attraits, je me morfonds près de toi sans
trouver le goût de m’échapper. J’ai appris à me passer de câlins et de
tendresse, puisque ta carapace de mauvaise graisse forme un rempart moelleux
entre nous. Seul un baiser rapide de tes lèvres toujours sèches marque nos
séparations, simulacre d’anciennes amours, comédie d’au-revoir, je crois que je
préfèrerais certains jours endurer une cérémonie de funérailles plutôt que cet
effleurement racorni de nos bouches.
Que diable ! L’amour, c’est languide et humide, c’est
plein de sécrétions, mais tu trouves ça un peu dégueulasse. La tendresse, c’est
aussi un échange de fluides, mais entre nous, il n’y a plus rien qui coule,
plus rien qui circule, il n’y a plus la place, entre ce pavillon de banlieue,
les deux voitures dans le garage, les déjeuners chez tes parents, les vacances
chez les miens. Certes, on n’a jamais été bien loin dans l’exploration des
plaisirs de la chair. Au début, je te trouvais délicieusement pudique.
Maintenant, je te trouve juste coincée. Et ça m’arrange.
Alors voilà, je contemple notre vie de petits bourgeois et
je nous trouve pitoyables. Toi, dans ton bonheur repu, et moi, dans mon infinie
lâcheté. Mais le constater, c’est faire le premier pas vers autre chose. Je n’ai pas de reproches à te faire, tu es
comme tu as souhaité devenir, de toutes tes forces, pour t’installer dans cet
ordinaire casanier. C’est moi qui me suis trompé. Je ne veux pas de cette vie,
je ne veux pas de toi.
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