samedi 20 octobre 2012

Je te déteste

Je te déteste. Je n’ai pas le courage de te le dire, mais je te méprise. Je n’arrive même pas à déterminer ce que tu insuffles le plus fort en moi, de la nausée ou de la haine. Je te regarde passer dans les pièces de cette maison qui m’étouffe et j’ai des aigreurs, des bouffées de colère. Puis tu te tournes vers moi et tu me demandes quelque chose, un truc bien terre à terre, bien vulgaire, et je serre les poings très forts. Mais tu virevoltes, inconsciente et satisfaite, dans tes oripeaux ridicules qui ne parviennent plus à cacher que tu t’es engraissée dans cette vie confortable.


Tu ne veux plus sortir, tu n’as pas envie d’aller au théâtre, au concert. Tu t’appuies sur ta fatigue, sur tes corvées comme sur des béquilles. Tu tournes, tu tournes et tu t’égares en d’inutiles tâches domestiques, puis tu t’avachis sur le canapé devant des insanités. Tu tapotes ta bouée en minaudant et tu souris d’imbécile béatitude. Oh, ce ne sont pas tes « poignées d’amour » ou tes trois tailles de soutif que je regrette, c’est cette existence sédentaire où tu te complais. Tes kilos en trop, c’est ton assurance-affection, ton petit plus si maternel, le poids du contrat qui nous lie, la masse du boulet que tu es devenue dans mon quotidien.


Tu n’as pas ouvert un livre, un journal, un magazine depuis des semaines. Toi qui m’entrainais dans des discussions interminables sur la prose de tes auteurs préférés, toi que j’ai vu la larme à l’œil, pleurant de bonheur sur une phrase bien tournée, sur un roman qui te plaisait. Sur la table basse traine un torchon que tu as piqué chez le coiffeur le mois dernier. Je n’appelle pas ça de la lecture, d’ailleurs il n’y a que des images dans cette insane publication. Encore heureux que tu ne l’aies pas acheté. Mais ça t’a fait plaisir de parcourir en gloussant ces pages pleines de photos, et moi ça m’a donné envie de vomir. Tu t’intéresses à ton monde intérieur, à cet espace qui se situe à quelques mètres de ton nombril. Souvent, j’ai l’impression d’être plus loin que ça, hors de ta portée, hors de ton champ de vision. Et si tu savais combien j’ai envie en ce moment d’être encore plus loin, beaucoup plus loin !


Je n’ai même pas l’excuse d’avoir envie de te tromper. Aucune autre femme ne m’attire. Aucune femme ne m’attire plus, et surtout pas toi. A coup d’habitudes lasses et de compromissions, tu as fait de moi un eunuque. Et je me demande s’il ne serait pas plus confortable de te ressembler. Tu n’as pas plus de désirs que d’attraits, je me morfonds près de toi sans trouver le goût de m’échapper. J’ai appris à me passer de câlins et de tendresse, puisque ta carapace de mauvaise graisse forme un rempart moelleux entre nous. Seul un baiser rapide de tes lèvres toujours sèches marque nos séparations, simulacre d’anciennes amours, comédie d’au-revoir, je crois que je préfèrerais certains jours endurer une cérémonie de funérailles plutôt que cet effleurement racorni de nos bouches.


Que diable ! L’amour, c’est languide et humide, c’est plein de sécrétions, mais tu trouves ça un peu dégueulasse. La tendresse, c’est aussi un échange de fluides, mais entre nous, il n’y a plus rien qui coule, plus rien qui circule, il n’y a plus la place, entre ce pavillon de banlieue, les deux voitures dans le garage, les déjeuners chez tes parents, les vacances chez les miens. Certes, on n’a jamais été bien loin dans l’exploration des plaisirs de la chair. Au début, je te trouvais délicieusement pudique. Maintenant, je te trouve juste coincée. Et ça m’arrange.


Alors voilà, je contemple notre vie de petits bourgeois et je nous trouve pitoyables. Toi, dans ton bonheur repu, et moi, dans mon infinie lâcheté. Mais le constater, c’est faire le premier pas vers autre chose.  Je n’ai pas de reproches à te faire, tu es comme tu as souhaité devenir, de toutes tes forces, pour t’installer dans cet ordinaire casanier. C’est moi qui me suis trompé. Je ne veux pas de cette vie, je ne veux pas de toi.

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