samedi 22 décembre 2012

L'hôte

Le salon se noie dans la pénombre. Les bruits de la rue montent, couvrant parfois la musique qui passe au fond de la pièce, le ronronnement de l’ordinateur. Vous parlez, il écoute votre voix grave poser des mots sur vos découvertes, vos enthousiasmes, vos réfutations. Les phrases s’égrènent, montent, volent, s’apaisent dans un refrain. Il est lové en face de vous et il suit le mouvement des mains, les sourcils qui se lèvent, le front qui se plisse, le sourire qui ouvre votre visage.  Ses yeux mi-clos ne perdent rien de vos expressions, de votre conversation. Il se berce de votre présence, il est en paix et il attend. Le moment viendra, il n’est pas encore temps.
Il lève la tête et hume l’air, il s’imprègne de votre présence, les odeurs de la ville en contrepoint, un vague fumet de pavés, de bitume et de voitures, l’atmosphère de la pièce, les volutes ténues de l’encens indien finit de se consumer, votre tiédeur d’humain . Ses narines frémissent et trient les effluves. Impassible guetteur, il vous regarde quitter la pièce, revenir, prendre les verres, verser le liquide rouge sombre dans leur corolle. L’arôme un peu minéral et fruité du vin vient s’ajouter aux parfums vivants de l’instant. Il prend tranquillement ses marques dans votre univers.
Il s’étire, un frisson d’impatience et de bien-être le parcourt de long en long, simple tressaillement sous sa peau. Il vous scrute, méfiant, sûr de lui, sur ses gardes. Il vous contemple, étudie les lieux, prend d’impalpables repères, la lumière assourdie, les mouvements de vos doigts, la nonchalance d’un bras qui ponctue le discours, la clarté de l’écran atténuée par le corps qui se penche. Il tourne un peu, effleure l’air de rien vos vêtements, un bruit sourd monte de sa gorge. Il marche en silence autour de vous. Son élégante déambulation vous enveloppe de sa présence. Vous parlez toujours, ses oreilles s’emplissent de votre voix basse. Il guette quelque mot qui traine, une phrase qui hésite, un silence. Votre attention vacillera. Vous vous égarez, vous hésitez, c’est tout ce qu’il attend. Alors ses beaux membres déliés finiront de le mener vers vous. Patience, il n’est pas de proie qui se prenne sans patience.
Vous arpentez la pièce, il attend. Enfin, vous vous posez sur le canapé, vous prenez le verre plein, vous vous appuyez sur le dossier. Il se lève lentement, il ne vous regarde pas, il avance, pattes de velours, griffes frémissantes. Il pose ses coussinets sur votre cuisse, tâte le terrain, s’enhardit. Vous parlez toujours. Il se hisse sur vos jambes, tourne, s’installe, se love. Il est dans la place. Il est installé, il ne bougera plus. Sa tête se pose sur le chemin de votre main. Vous le caressez, sans y penser, et un sourd grondement de volupté monte de sa gorge délicate. Vous êtes à lui, il vous a adopté. Vous faites un humain acceptable, il vous laissera partager son espace vital.

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