vendredi 7 juin 2013

Pauvre type

Tu as aimé, petit homme ? Est-ce que ton plaisir fut plus grand de l’avoir volé ? Peut-être pas.
Ça ne te gêne pas, petit homme, d’être un tocard, un pauvre raté ? Pas capable de séduire une femme, pas foutu de l’amener à ouvrir les cuisses de son plein gré ? ça ne doit pas être facile, petit homme. L’impuissance est une sensation qui s’éprouve mal au masculin. Et toutes ces conversations embarrassantes pour toi, ces innombrables occasions où tes amis déballent leur conquêtes et mesurent la liste de leurs bonnes fortunes. Celui qui a la plus longue est un mâle dominant. Mais toi, ton inventaire, il est recroquevillé dans sa coquille comme un colimaçon, un vermisseau de Dom Juan.
Sans toi, petit homme, la compétition de la plus conséquente, la plus abondante, la plus fournie des listes. Autant organiser un concours de virilité au nombre de poils de c… ah non, ce serait vulgaire. Alors que la liste des femmes qu’on a troussées, c’est classe. Et puis ça rassure tes amis. Ils existent puisque des femmes les ont regardés, leur ont parlé, souri, accueillis entre leurs draps frais, contre leurs seins tièdes. Ils existent auprès d’une moitié d’humanité qu’ils méprisent quand elle ne les regarde pas, ne leur sourit pas, ne leur ouvre ni ses bras ni son lit.
Ça ne vient pas de toi, ce n’est pas vraiment ta faute. Tout aurait été beaucoup plus simple si j’avais dit oui. Ça fait des années que tes copains te charrient, et ils ont raison, tu ne sais pas t’y prendre. Tu n’es même pas laid, ni con. Juste maladroit. Ça ne me console pas du tout. Comme un bœuf au pré, tu as contemplé des wagons entiers de nanas te passer sous le nez. Mais tu ne sais que ruminer, et tu n’as jamais trouvé gourdasse assez bovine pour te trouver à son goût. Je te confirme, même si tu n’es pas répugnant, que tu n’étais pas au mien. Mais ça, tu t’en doutes un peu, non ? Depuis que j’ai repoussé d’un haussement d’épaule ton invitation à partager un verre avec toi. Ta colère est montée, une incroyable haine contre toutes les femmes qui ne te regardent pas, ne te parlent pas, ne t'ouvrent ni leur bras ni leur lit.
Pour moi, c’était un mauvais enchaînement de circonstances, la soirée était mal engagée et tu y as ajouté une sorte de bouquet final dans le dégoût. Je n’aurais peut-être pas dû me trouver là. Toi, tu y étais, avec la bande de soûlards des samedis soirs qui ramasse les filles à la pelle, et se rabat sur les moches en fin de nuit, histoire de ne pas rentrer seul. Je n’aurais sans doute pas dû me trouver isolée. Pas le soir, où, éméché et sans excuses, tu as décidé avec bravade que tu ne repartirais pas avec ton pucelage sous le bras.
Tu n’étais pas vraiment en état de conduire. Mais assez en forme pour me voir arriver à ma voiture au bout du parking désert. Mes amis étaient rentrés, j’avais refusé qu’ils m’accompagnent pour ce minuscule trajet. Je n’ai pas vu ta silhouette dans l’habitacle. Je n’ai pas réagi quand tu as ouvert ta portière. J’avais mes clés à la main. Je n’ai pas pensé à refermer le poing dessus pour te frapper quand tu m’as attrapée. Tu as mis une main pesante et moite sur ma bouche, mais j’étais trop estomaquée pour crier. En deux temps-trois mouvements _ ce qu’on peut être efficace quand on est déterminé _ tu avais relevé ma jupe et arraché ma culotte. Ah petit homme, à ce moment-là, tu bandais comme jamais et tu as enfoncé cette féroce érection dans mon ventre. Ça n’a pas duré longtemps, peut-être l’émotion, mais tu as joui en quelques minutes. Elles m’ont semblé interminables et assez courtes, pour tout dire. Et puis tu m’as jetée à terre et tu es parti en trombe dans ta vieille guimbarde.
Je me suis trainée à ma voiture et je suis partie. Pas à la maison. A l’hôpital. Urgences. La secrétaire à l’accueil ne voulait pas croire à mon histoire, elle me trouvait trop calme. On m’a examinée quand même. Le médecin légiste est venu, comme je le demandais. Il n’était ni brutal, ni doux. Il était neutre, impersonnel et je l’en ai remercié. S’il avait montré de la compassion, je me serais écroulée en sanglots. Il a fait des prélèvements, aussi. Ton foutre me dégoulinait encore entre les cuisses, et cette odeur écœurante m’a soulevé le cœur. Une infirmière m’a apporté des serviettes pendant que je vomissais dans les toilettes. Et j’ai pu prendre une douche. Même avec l’idée de remettre mes vêtements sales, tout valait mieux que sentir encore ton odeur sur moi. On m’a donné un premier traitement _ antirétroviraux. Et je suis allée au commissariat.
J’ai apporté le rapport du légiste, qui avait téléphoné. Les flics étaient fatigués, c’était juste avant la fin de leur service. Ils ont enregistré ma plainte. Je suis rentrée chez moi. Et j’ai dormi, après une autre longue douche.




Aujourd’hui, j’hésite. Maintenir ma plainte, c’est être à jamais ta victime, faire de toi mon violeur, te laisser devenir quelqu’un dans ma vie. Je ne te connais pas, je ne t’avais jamais vu, et je sais moi-même que je ne suis pas sûre de t’identifier. Je ne t’ai pas regardé. J’ai tourné la tête. Tu n’as pas de visage, pas de nom, tu n’es personne. Je veux que cet incident passe sans trace dans mon existence, qu’il n’ait aucune importance. Tu es un raté, petit homme, et ce que tu as pris, tu ne me le rendras jamais. Détruire ta vie ne m’apportera aucune satisfaction, tu n’es rien pour moi, qu’un désagréable moment vite oublié, fais-moi confiance. Je ne veux pas que tu t’installes dans ma vie et que tu me coûtes l’énergie d’un procès. Je n’ai pas de colère contre toi, juste du mépris. Tu es un tocard et tu ne me prendras pas un instant de plus de mon existence. Tu vas retourner dans les limbes, disparaître dans la fange.
Mais te laisser là, dehors, et susceptible de recommencer ? Je n’ai pas de haine envers toi, mais j’ai peur pour toutes les autres filles qui sortiront seules d’une boite de nuit. Je ne veux pas me venger, mais j’ai peur que tu le fasses encore et que tu ruines une vie. Je suis assez forte pour te dépasser et pour t’oublier, mais la prochaine le sera-t-elle ? Dans quelques jours, les policiers viendront chez toi ou à ton travail, et ils t’emmèneront. C’est rare qu’ils disposent d’évidences aussi irréfutables : le numéro de ta plaque d’immatriculation, des prélèvements, des constatations de rapport forcé. J’aurai un meilleur avocat que toi. Et toi, dans quelques mois, tu iras croupir en prison, méprisé par tous les autres taulards, un pointeur, un violeur.

Je serai ta victime et tu ne violeras plus personne. Quand on te relâchera _ parce qu’on finira par te sortir de ton trou où tu te seras fait une vie _ tu n’auras plus les couilles de violer.


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