jeudi 4 octobre 2012

12 Septembre

Inspire, expire, inspire, expire. Respire ! Bats-toi, bats-toi, BATS-TOI !

Je suis là, je suis cramponnée à ton lit, je ne suis plus que le rythme des machines qui te surveillent. Je n’ose plus te toucher. Est-ce que tu sens ma présence ? Mon souffle court suspendu à tes lèvres ?

Tes parents arrivent, tes parents chéris que je ne connais pas, et ton frère Guillaume, et peut-être ta sœur Hannah. J’ignore qui les a prévenus. Il faut que tu restes là, il faut que tu restes en vie jusqu’à leur arrivée. Je m’en irai alors, je n’ai rien à faire dans cette chambre d’hôpital où tu as échoué. Ne laisse pas tomber encore, attends un peu. Le moment n’est pas venu. Inspire, expire, inspire, expire.

Entends-tu le murmure de ma voix ? Je chuchote à ton oreille. Respire, bats-toi. J’imaginais bien que tu me quitterais un jour, mais pas comme ça. Pas dans ce lit blanc, les yeux clos, le corps brisé, les mains ouvertes, abandonnées, dans les vapeurs hostiles du désinfectant, dans cette odeur de mort et de vie suspendue. Inspire, expire, inspire, expire.

Ceux que tu aimes sont en chemin, ils vont te rejoindre et t’envelopper de leur affection, te réchauffer, te guérir. Si c’est possible. Ils verront les médecins et entendront leur pronostic. Moi je suis attachée à ce filet d’air, à ta bouche sèche, à ta poitrine qui se soulève à peine.

Ne m’abandonne pas. Reste là. Encore un peu. Quelques heures, quelques jours. Donne-nous un peu de temps pour finir, pour achever. Ne t’en va pas. Je ne peux pas quitter le bord de ton lit et te laisser seul. Inspire, expire, inspire, expire. Ne me lâche pas, bats-toi, respire, respire, respire.

Tu as laissé tomber ma main. Est-ce qu’il y a en moi assez de chaleur pour te conforter ? Est-ce qu’il y a en moi assez de vie pour te rappeler parmi nous ? Ceux qui t’aiment viennent à toi. Attends encore un peu. Respire, bats-toi !

Le temps s’écoule goutte à goutte dans ta perfusion. Je ne vois pas les minutes, les heures. La lumière naissante me dit que nous sommes le matin et que je tiens les bords de ton lit depuis des heures. Je vis au rythme de ton souffle ténu, inspire expire, inspire, expire. Est-ce que tu souffres ? Est-ce que ton corps martyrisé te tourmente ? Tu es plus loin de moi que jamais, retiré en toi-même, absent. Il faudra que je m’habitue à ton absence. Ton absence vivante, comme un fantôme de moi-même que j’ai laissé. Pas une ombre du passé, pas une tombe. Reste en vie. Reste en vie pour que je n’aie pas de remords, reste en vie pour que nous échangions les mots qui terminent une belle histoire. Reste en vie pour mettre un point final à nos attachements. Reste en vie pour me dire que tu ne m’aimes plus, pour douter de m’avoir jamais aimée, reste en vie pour les phrases dures.

Ne me quitte pas comme ça. Pas dans le brouhaha de l’hôpital, pas dans la fièvre des gens qui meurent presque, des gens qui ne reviennent pas. Ne me quitte pas, ne me laisse pas. Inspire, expire, inspire, expire. Respire. J’ai besoin d’entendre ta voix grave, j’ai besoin de voir tes yeux s’ouvrir et devenir silex et trancher entre nous ce qui fut notre amour.

Je serai ta victime, je serai ton sacrifice, je pleurerai, je gémirai. Ça ne s’arrêtera pas comme ça. Ton visage se fermera et tu m’enverras au diable, ta bouche vivante prononcera l’arrêt de nous, la fin de ce qui nous fit heureux, insouciants, épris. Inspire, expire, inspire, expire. Fais partie des vivants, fais partie des bourreaux. Je te détesterai, je t’aimerai encore.

Ceux qui t’aiment courent vers toi. Patiente encore un peu, ma douleur peut attendre.

Respire, respire, respire.

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