jeudi 4 octobre 2012

24 Septembre

Douce,

J’ai appris aujourd’hui que tu m’as veillé des heures, des nuits entières. Mes parents affolés ne te connaissaient pas. Dans la panique, ils ont accepté ta présence comme une évidence. Je n’ai pas souvenir de ces jours suspendus. J’ai su bien trop tard que tu as accompagné ma lente remontée vers l’existence. Quand j’ai ouvert les yeux, ceux qui m’aiment m’entouraient. Pas toi. Aucun médecin, aucune infirmière n’a évoqué le temps que tu as passé accrochée à mon lit. Tous les soirs, tu es venue. J’ignore si tu m’as parlé. Je ne connais rien des moments épuisants qui se sont écoulés près de moi, au cœur des heures les plus sombres.
Tu étais là. Pour moi. Après le départ de mes parents épuisés d’angoisse, tu prenais ta vigile au bord des machines, au long de ma perfusion et tu restais là. Personne ne t’a jamais demandé ce que tu faisais dans cette chambre, quels liens nous unissaient pour que tu me sacrifies ainsi ton sommeil. Sur cette chaise inconfortable, tu as veillé sur mon inconscience.
Douce, s’il te plait, reviens.

Je ne suis plus le même, à peine entier, encore douloureux, j’apprends à me servir de nouveau de chaque muscle. Je vacille, je titube, vaisseau ivre de sa propre faiblesse. Il me faudra des mois pour retrouver ma mobilité, pour marcher, pour courir, peut-être. Ma poitrine creuse et mes bras maigres manquent de ta chaleur et de ton poids, mes mains se tendent vers toi, inutiles et tremblantes. Mes doigts se souviennent de la douceur de ta peau.
Dans ma chambre froide d’hôpital, j’aspirais à sentir le soleil me réconforter. Tu me manques, Douce. Il me semble que ton sourire réparerait toutes mes fêlures. Tu me manques. Les calmants tiennent la douleur en respect. Ils n’atténuent pas ton absence. Je sens tes courbes contre mon corps se fondre à nouveau, tes membres délier les souffrances. Douce, reviens, reviens à mon chevet.

Tes murmures ont escorté mon retour parmi les vivants. Douce, viens mêler tes éclats de rire à mes jours, viens mélanger ta tumultueuse existence à ce misérable bout de vie que je traine.

Douce, les mots durs, les phrases terribles sont oubliés, je ne les ai jamais prononcés. Je guéris boiteux, bancal, loin de toi, privé de tes yeux ironiques.

Douce, j’ai déposé les armes, je suis le soldat blessé de notre tendre guerre. Regarde-moi, regarde-moi, je ne suis plus le même. La sollicitude de ceux qui m’aiment m’épuise. J’ai besoin du désordre impatient que tu as déposé au creux de mes entrailles.

La mécanique fonctionnera à nouveau, à peu près. J’aurai la trace de quelques coutures, je me tiendrai droit, je ferai tout ce que les autres font sans y penser.

Douce, reviens. Tu avais deviné sur mes lèvres l’instant où j’allais trancher nos liens. Tu as lu dans mes yeux le chapitre final de nos attachements.

Avant. C’était avant. Avant ce lit inhumain où on a posé mon coma, mon corps abandonné, cassé. Tu es venue et tu es restée. J’ai bu ton souffle, j’ai absorbé tes murmures, je me suis nourri de ta veille. Douce, reviens, je suis infirme, je suis blessé, je suis inachevé. Douce, reviens, tu me feras complet. Reviens, je t’en prie, reviens, reviens.

Samuel

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