J’ai appris
aujourd’hui que tu m’as veillé des heures, des nuits entières. Mes parents
affolés ne te connaissaient pas. Dans la panique, ils ont accepté ta présence
comme une évidence. Je n’ai pas souvenir de ces jours suspendus. J’ai su bien
trop tard que tu as accompagné ma lente remontée vers l’existence. Quand j’ai
ouvert les yeux, ceux qui m’aiment m’entouraient. Pas toi. Aucun médecin,
aucune infirmière n’a évoqué le temps que tu as passé accrochée à mon lit. Tous
les soirs, tu es venue. J’ignore si tu m’as parlé. Je ne connais rien des
moments épuisants qui se sont écoulés près de moi, au cœur des heures les plus
sombres.
Tu étais là.
Pour moi. Après le départ de mes parents épuisés d’angoisse, tu prenais ta
vigile au bord des machines, au long de ma perfusion et tu restais là. Personne
ne t’a jamais demandé ce que tu faisais dans cette chambre, quels liens nous
unissaient pour que tu me sacrifies ainsi ton sommeil. Sur cette chaise
inconfortable, tu as veillé sur mon inconscience.
Douce, s’il
te plait, reviens.
Je ne suis
plus le même, à peine entier, encore douloureux, j’apprends à me servir de
nouveau de chaque muscle. Je vacille, je titube, vaisseau ivre de sa propre
faiblesse. Il me faudra des mois pour retrouver ma mobilité, pour marcher, pour
courir, peut-être. Ma poitrine creuse et mes bras maigres manquent de ta
chaleur et de ton poids, mes mains se tendent vers toi, inutiles et
tremblantes. Mes doigts se souviennent de la douceur de ta peau.
Dans ma
chambre froide d’hôpital, j’aspirais à sentir le soleil me réconforter. Tu me
manques, Douce. Il me semble que ton sourire réparerait toutes mes fêlures. Tu
me manques. Les calmants tiennent la douleur en respect. Ils n’atténuent pas
ton absence. Je sens tes courbes contre mon corps se fondre à nouveau, tes
membres délier les souffrances. Douce, reviens, reviens à mon chevet.
Tes murmures
ont escorté mon retour parmi les vivants. Douce, viens mêler tes éclats de rire
à mes jours, viens mélanger ta tumultueuse existence à ce misérable bout de vie
que je traine.
Douce, les
mots durs, les phrases terribles sont oubliés, je ne les ai jamais prononcés.
Je guéris boiteux, bancal, loin de toi, privé de tes yeux ironiques.
Douce, j’ai déposé
les armes, je suis le soldat blessé de notre tendre guerre. Regarde-moi,
regarde-moi, je ne suis plus le même. La sollicitude de ceux qui m’aiment
m’épuise. J’ai besoin du désordre impatient que tu as déposé au creux de mes
entrailles.
La mécanique
fonctionnera à nouveau, à peu près. J’aurai la trace de quelques coutures, je
me tiendrai droit, je ferai tout ce que les autres font sans y penser.
Douce,
reviens. Tu avais deviné sur mes lèvres l’instant où j’allais trancher nos
liens. Tu as lu dans mes yeux le chapitre final de nos attachements.
Avant.
C’était avant. Avant ce lit inhumain où on a posé mon coma, mon corps
abandonné, cassé. Tu es venue et tu es restée. J’ai bu ton souffle, j’ai
absorbé tes murmures, je me suis nourri de ta veille. Douce, reviens, je suis
infirme, je suis blessé, je suis inachevé. Douce, reviens, tu me feras complet.
Reviens, je t’en prie, reviens, reviens.
Samuel
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