Tu sais, je
ne suis pas prête. On dit que les hormones travaillent, mais les miennes ne me
sont pas montées à la tête. Nous sommes bien tous les deux, nous nous entendons
bien, mais je ne peux pas faire de projets, enfin pas de cet ordre-là. J’aurais
peut-être dû t’en parler avant, mais j’ai géré l’urgence. J’ai pris
rendez-vous, j’y suis allée, c’est bon.
On ne va pas
se mentir, nous vivons nos plus belles années. Un appart, un chat, des jobs en
or, et assez de sous pour faire les voyages dont nous avons envie. Quand je
regarde nos amis, je ne les envie pas. C’est quand même une lourde série de
contraintes que d’avoir des enfants. Tu as vu la tête de Cédric, on dirait
qu’il n’a pas dormi depuis six mois. D’ailleurs, je crois qu’il n’a pas fait
une nuit complète depuis six mois. Sa nana a pris trois tonnes, elle ressemble
à une grosse vache. En plus, elle allaite. C’est une vache, pas de doute, avec
son moutard pendu à ses pis. Pas moyen de passer un diner entier à table, ils
passent leur temps à aller voir si leur nain dort bien, ou elle doit se lever
pour le nourrir. Non, moi je trouve que c’est une galère. Ils n’arrêtent pas de
dire que c’est merveilleux, mais quand on voit leurs cernes, on se demande.
Moi j’aime
bien nos sorties, nos petits week-ends, nos escapades en amoureux. Nous sommes
libres, nous pouvons prendre la voiture et aller en Normandie se promener sur
les planches. Juste une petite valise pour toi et moi, et nous partons. Rien à
planifier, pas de bazar à emporter, et les petits pots, les couches… Je suis
bien contente que nous ayons nos petites adresses, comme cette chambre d’hôtes
adorable que tu as dénichée près de Fécamp. Et puis le dimanche, on peut rester
sous la couette, tous les deux, à se chatouiller les orteils.
Mes soirées
entre copines… plus ça va, moins il y en a. Je veux dire, une fois en charge
d’enfant, elles ne sortent plus. Comme si elles ne pouvaient pas laisser leur
progéniture un soir. Ça me passe le temps quand tu es en déplacement, ces
soirées. C’est idéal, tout de même. Je ne me rends même pas compte que tu es
parti et voilà, tu reviens déjà. Et ça fait du bien de faire des trucs entre
filles, des trucs que je ne ferais pas avec toi, je les fais avec elles.
Bon, je ne
dis pas que je n’en aurai jamais envie. Pour le moment, les jeunes parents
autour de nous me font juste pitié. Ils sont hagards et crevés, ils n’ont
presque plus de vie sociale. Je ne te parle même pas de leurs loisirs. Alors
que nous, nous avons du temps pour nous. C’est idéal, vraiment.
Bon, je vais
revoir le médecin pour qu’il me pose un stérilet. Je n’aurais jamais pensé
qu’on pouvait tomber enceinte en prenant la pilule. Mais il est hors de
question que ça se reproduise. Je suis certaine de ne pas l’avoir oubliée.
Peut-être un jour où j’ai été malade.
Pourquoi tu
boudes ? Tu n’as pas l’air bien. Un kleenex, oui bien sûr, je te donne ça
tout de suite. Où tu vas ?
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