samedi 12 janvier 2013

Prunelle (1)

Il fait bon dehors, les enfants jouent depuis la fin de la sieste, on les entend s’appeler dans le jardin. Leurs rires et leurs cris s’éloignent et se rapprochent tour à tour, animent la douceur de ce jour bourdonnant. Les plates-bandes s’éclairent de narcisses jaunes, s’ornent de tulipes élancées. Quelques myosotis et de rares muscaris ajoutent une touche discrète de bleu au pied des fleurs hautaines. Les rosiers reprennent, la vigne enroule ses vrilles et ses feuilles neuves. Le chat fait semblant de poursuivre les abeilles ivres qui visitent chaque corolle. Le soleil joue dans les branches éclatantes des forsythias, les pruniers répandent leur neige de pétales rosés dans l’herbe verte. Le chien tourne entre la mère affairée et les filles qui jouent.
- Maman, maman, je ne trouve plus ma sœur, elle est trop bien cachée. Elle triche, elle ne veut pas que je la trouve pour ne pas avoir à compter.
- Cherche encore un peu, je suis sûre que tu vas la trouver.
- Non, je veux que tu m’aides. Elle triche.

- Bien, je t’aide parce que c’est l’heure du goûter.

La mère pose son sécateur en hauteur, pose ses gants et suit sa fille. Elles font le tour du jardin en appelant.

- Prunelle, Prunelle, où es-tu cachée ? Reviens, le jeu est fini, c’est l’heure du goûter.

- Prunelle, je n’ai plus envie de jouer. Maman a dit que nous allons goûter, viens.

Pas de Prunelle. La fille s’est assise sur les vieilles marches de la maison. Elle est fatiguée et elle a un peu chaud. Le jeu n’est plus drôle, puisque sa sœur ne se laisse pas trouver. Sa mère appelle, un peu agacée.
Pas de Prunelle.
Prunelle, sors de ta cachette. Je ne te vois pas, dans ce maudit jardin sans clôture. Il est l’heure de rentrer, tu as assez joué. Ta sœur est fatiguée, elle est toute échevelée, en nage, lasse de vos courses et de vos chamailleries. Prunelle, ma pomme acide, mon fruit vert, ça suffit maintenant, je commence à m’inquiéter. Tu es trop petite pour quitter mon regard et la portée de ma voix. Je t’entendais crier avec Camille tout à l’heure, tu étais près de moi, pas loin, je voyais passer ta robe bleue dans les arbres, sur le tapis de fleurs de pruniers, dans l’herbe inégale du jardin, et tes petites jambes qui tricotent pour courir.
Pas de Prunelle.
Ma fille, mon petit cœur, ma fée, mon inconséquente princesse, le jeu a assez duré, il n’est plus temps de te cacher, je veux que tu rentres. Je suis énervée et mes mains se tordent. Je n’ai pas envie de fouiller le jardin encore une fois, reviens, je ne te vois nulle part. Je te lirai une histoire dans un joli livre plein de belles images, une histoire de souris, une histoire d’ours, et tu te blottiras contre moi, mon trésor, tes toutes petites mains d’enfant tourneront les grosses pages.
J’ai fait cinq fois le tour du jardin, la cour n’offre aucune cachette, je ne te vois pas. J’ai fouillé le tas de bois où tu ne pourrais pas te glisser, j’ai ouvert le réduit fermé à clé où sont rangés les outils de jardinage. J’ai regardé dans la voiture garée devant la maison, elle est vide. Et ce chien qui tourne autour de moi, inutile !

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire