jeudi 10 janvier 2013

Prunelle (3)

Mon elfe minuscule, mon rayon de miel, tu dois être fatiguée. Tu as dû beaucoup marcher pour t’éloigner autant, si vite. Il faut que je te trouve, il faut que je serre ton corps fragile et malingre contre moi, il faut que je respire ton odeur de bébé, le parfum acidulé de ta peau tiède, l’arôme de ta sueur de fillette, le goût de tes larmes de soulagement quand je t’aurai prise dans mes bras pour te ramener avec moi. Tu dois être terrorisée d’être seule et sans repères. Je marche lentement, pour ne pas te rater, tu dois forcément être par là, je suis déjà si loin de la maison.

Je suis sûre que je vais tomber sur ta robe bleue à chaque détour, après chaque arbre, chaque buisson. Tu as dû tomber et te faire mal, toi si douillette, ou tu t’es tordu une cheville et tu ne parviens pas à rentrer. A chaque enjambée, je me dis que je vais voir ton petit visage inquiet. Tu dois être derrière cette butte, après ce fossé, je vais te rejoindre, il me suffit d’avancer, je suis certaine d’aller vers toi, il faut que je sois dans la bonne direction, là où tu t’es égarée, là où tu m’attends. Mon regard plein d’espoir fouille le moindre recoin, les zones d’ombres où le jour s’allonge. Le soleil rasant éclaire encore tout le paysage de ses ors, je vais te trouver. Je viens vers toi, ma toute belle, ma trop petite.
J’imagine mille aventures, de mauvaises rencontres, l’inconséquence d’un habitant du hameau qui aura voulu mettre à l’abri cette fillette perdue, et qui te cache à ma vue. Je crains encore la route, une voiture qui s’arrête, qui fait monter l’enfant déboussolée. Il faudrait appeler les gendarmes, avant que la nuit tombe. C’est raisonnable, mais c’est la fin de l’illusion que tu es encore près de nous, que nous allons te découvrir, apeurée et transie. S’il se fait tard, les recherches seront plus difficiles, et peut-être justement, quelqu’un, t’ayant recueillie, a prévenu la maréchaussée. Je rebrousse chemin, les membres glacés.

On m’appelle. Ma mère crie et fait de grands gestes en courant dans ma direction. Elle gesticule et se presse. J’espère qu’elle n’a pas laissé ta sœur. Mais non, elle est là, derrière sa mamie et elle rit. On a retrouvé Prunelle !
Je cours, je vole, je ne suis plus lasse de chercher, ma petite fille, mon tendre lutin est retrouvé ! Je me précipite vers la maison, je ris et je pleure en même temps, je serre de toutes mes forces ses membres frêles contre moi, je voudrais l’envelopper, me l’attacher, me la relier, pour que jamais plus elle ne se perde. Je caresse son front éberlué, je contemple son visage inquiet et son grand sourire fatigué.
- Maman, maman, j’ai marché longtemps, je ne savais plus où j’étais, je ne te voyais plus, je ne voyais plus Camille, et j’étais toute seule.

- Mon bébé, ma toute petite, je suis si contente de te retrouver !
Prunelle se blottit dans mes bras, elle est un peu déroutée par ma joie et mes larmes. Elle est épuisée, ma mère la pose dans un fauteuil, dans un grand plaid où elle disparait, le chien se couche à ses pieds. De la cuisine, je garde un œil sur mes filles, sur mes deux trésors, et je discute avec les grands. C’est la voisine qui l’a croisée. Prunelle tournait en rond, pas très loin, mais en la cherchant, nous l’avons ratée. Elle essayait de regagner la maison, et nous ne l’avons pas vue. Elle ne savait pas qu’il fallait rester où elle était, elle n’avait pas de point de repère. Elle n’a pas l’air effrayé par sa mésaventure. Je me tourne sans cesse vers les enfants qui papotent doucement. Mes filles, mes trésors, mes amours.

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