lundi 11 février 2013

Papa est mort

Papa est mort. Au milieu de la nuit, nous n’avons entendu aucun bruit jusqu’à ce qu’Omar tombe, une balle dans la tête, son revolver à la main. Il était fier de son arme, mon frère, c’était un cadeau d’homme. Papa est mort et j’ai juste aperçu son corps très long étendu sur le sol, l’ovale rouge et parfait sur son front, ses pieds nus et inertes, ses bras inutiles, ses yeux à demi ouverts. Je l’ai distingué en un éclair, au milieu des silhouettes noires qui l’entouraient. Des hommes silencieux, épais, l’ont tâté puis l’ont emporté. Papa est mort, je ne le voyais pas beaucoup dans cette maison où nous vivions. Je suis trop petite, je vis avec ses femmes, et mes frères et sœurs petits. Seul le cuisinier, de tous les hommes présents ici me parlait gentiment. Il disait en riant que j’étais bien la fille de mon père, que j’aimais comme lui les aubergines farcies, qu’il allait m’apprendre à les préparer pour Papa, plus tard. Il nous nourrissait  comme Papa aimait, pas comme ceux qui vivent sauvagement et ne parlent pas l’arabe.

Papa est mort. C’est lui qui avait choisi ce pays et cet endroit pour être en sécurité. Mensonge ou vérité ? Je ne suis pas née ici, mais ma mère voulait vivre près de mon père, son héros, et de sa grande sœur. Dans ce pays trop froid, où les hommes baragouinent comme leurs chèvres, nous apprenions le Coran, dans la langue pure du Prophète, entre les murs épais de notre résidence. Sous la direction de Khairiah Saber nous répétions les sourates, le visage tourné vers la Kaaba.
Papa est mort. Il venait de la terre sanctifiée où la Révélation fut dictée par l’ange au Prophète. J’espère que nous pourrons y retourner, mais Maman dit que sa famille ne veut plus entendre parler d’elle et que celle de Papa nous a rejetés avec lui. Il n’aimaient pas ce que Papa avait fait, lui se battait pour ce qu’il croyait juste. Maman dit qu’elle va se confier à ses proches, qu’ils ne laisseront pas les veuves et les orphelins d’un martyr souffrir du dénuement. Pour honorer sa mémoire et saluer son œuvre purificatrice, ils prendront soin de nous. Elle ne sera pas sans ressources.

Papa est mort et les hommes en noir ont enlevé son corps immense, ils ont quitté la maison, suivis par ce chien. Papa est mort et je ne sais pas ce que sera demain et les jours suivants, mais j’en veux à ces funestes soldats qui sont venus loger leurs balles dans la profondeur de son très grand front. J’espère me souvenir toujours de cette nuit. Plus tard, je serai mariée à un grand combattant qui prolongera cette œuvre. Il sera le glaive de ma vengeance contre les impies qui ont tué mon Papa.
"Justice is done". Non, justice sera faite quand les soldats de mon père auront exécuté les hommes noirs, quand cette nuit d’Abbottābād aura été lavée dans le sang des infidèles. Papa est mort et moi je rêve de le venger.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire