mardi 26 mars 2013

Shéhérazade (4)

Ce rouleau de soie peinte est magnifique. En bons Occidentaux, nous le parcourons à l’envers, et il faut patienter quelques minutes pour embrasser des yeux cette subtile composition. La perspective est rendue curieuse par l’accrochage vertical. Il faut imaginer les scènes à plat, se succédant harmonieusement comme l’a voulu l’artiste. A côté, un lit ovale invite à la rêverie d’une sieste, à l’aventure d’un tapis volant. Par contre, si ces figurines délicates de porcelaine sont très belles, elles n’ont qu’un lointain rapport avec le thème de l’exposition. La princesse Bouldour, la plus belle des femmes de cette terre de légendes, habitait un château isolé en Chine, où nul amant n’aurait pu la dénicher. Il fallut le charme du conteur pour chanter les amants désolés, séparés, le génie de l’héroïne pour les réunir. D’émotion, les amoureux tombent en pâmoison, la passion les enivre du plus doux des nectars. Et Sindbad entame le cinquième de ses sept voyages dans les mers mystérieuses de cet Orient rêvé, s’enrichit en faisant naufrage, repart toujours, jamais blasé, jamais contenté, l’aventure comme seule maîtresse.

Admirez ma nuque, elle ploie sous votre regard, lourde de tous vos effleurements. Envahissez-moi de votre envie de moi, enlevez-moi à ces couloirs sombres, emmenez-moi à la lumière plombée du jour froid et du mercure du fleuve. Embrassez-moi à pleine bouche sur le pont alourdi des serments d’amour cadenassés à l’aplomb de l’onde furieuse, saisissez-moi, embarquez-moi loin de ces snobs photographes de commentaires et trop pressés d’admirer les œuvres. A vos pieds de roi, je déposerai toutes mes histoires, tous mes contes, toutes mes évasions. Sur votre corps de guerrier, je poserai tous mes désirs et j’offrirai toutes mes noyades. Je serai votre odalisque, mille et une nuits, cent jours, un crépuscule, une heure sombre, quelques instants de plaisir, une infinité de moments de grâce.
L’exposition est finie. Je ne suis pas restée regarder les extraits de films qu’on y présente, je me suis détournée de la librairie, tentation trop forte. Je reboutonne mon manteau, je noue mon écharpe. Je pousse la porte, encore enchantée par les Mille et une nuits. Le parvis de l’IMA est battu par une bise âpre. J’ai le temps de fumer une cigarette, rien ne me presse. Je sors mon paquet et je fouille le fond de mon sac à la recherche d’un briquet. Derrière moi, une voix grave demande : « Bonjour, auriez-vous du feu ? » Oui, bien sûr, voici. Je me retourne. Deux mains enserrent les miennes pour abriter la fragile flamme du vent. Deux mains caressantes et légères. « Merci. Cette exposition est vraiment intéressante. Dommage qu’il y ait tant de monde. Enfin, un dimanche après-midi aussi froid et triste, c’était un bon choix. Vous avez aimé ? » Un visage ouvert me sourit de tous ses yeux bruns et doux. Oui, j’ai aimé. Je crois que j’aimerai aussi la suite.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire