mercredi 20 décembre 2017

L'intranquille

Personne ne fut plus maladroit que vous pour déployer ses charmes. Vous êtes beau et vous le savez, et vous paraissiez intimidé. Peut-être le contexte, vous me l'avez fait remarquer. Vous poussière, moi étoile. Vous savez être convaincant et désarmant à la fois. Cette rencontre au sommet n'était qu'un prétexte et j'étais déjà ferrée, au bout de la ligne de votre sourire. Je vous observais dérouler votre scénario de séduction, et j'appréciais la jolie romance. Vous aviez de l'imagination, et cela me plait. Il y eut donc un rendez-vous au bord du canal. Vous essoufflé, en retard. Mes escarpins vous ont volé le peu d'air qu'il vous restait. Les tickets de la séance de cinéma à la main, vous m'avez entraînée sur les quais, pour discuter. Ces tickets que vous avez cherchés en maugréant devant l'employé du ciné. Je vous ai ramené à la poubelle où je vous avais vu les jeter. Vous vouliez vous punir. Vous punir, déjà, de moi ?
Vous m'avez avoué que vous n'aviez jamais mis dans votre lit une femme comme moi. Devais-je en être flattée ? J'ai ignoré ce commentaire embarrassé. Je vous ai écouté faire le deuil de vos amours passées. Et je me voyais figurer dans cette galerie de portraits. Je suis un excellent pansement, et je vous ai laissé user de cette faculté de réparer. Vous ne regrettiez pas vos trahisons, mais vos échecs. Je vous ai caché cet autre amant qui avait pris un bout de mon âme et j'ai commencé à inventer notre fin.
Nos chairs se joignaient glorieusement. Tendu et inspiré, vous avez contemplé mes frissons, vous vous êtes repu de mes extases. Vous auriez pu vous émouvoir de mes naufrages. Vous étiez flatté. Cette fatuité me garda de sombrer dans vos yeux clairs. J'étais folle de vous, captée, captive, c'était bien assez.
Il vous fallait aussi la comédie d'une certaine normalité. Je n'ai pas su vous cacher combien j'étais horrifiée que votre fils apprenne mon existence. Je suis une ombre, et je préfère le silence. Toute forme de conjugalité me répugne. Je vous ai appris à vous taire, je vous ai appris à lâcher ma main, puis à ne pas la prendre. Je vous ai appris à dormir seul, dans les draps froissés.
J'ai goûté avant vous, bien avant vous, l'amertume de notre fin. Il fallait vous pousser dans vos derniers retranchements pour que vous développiez vos plus puissants arômes. Je vous ai mené, semaine après semaine, à la conclusion. Et je me suis enivrée de cette note finale, la plus tranchante.
Quand nous étions séparés, je vous ai écrit. Je ne sais pas si vous avez lu mon histoire, et à vrai dire, je m'en fous. Seule comptait la chute. Vous aviez peur de la poussière sur nos attachements, et vous êtes tombé dans un autre sourire.
J'ai mis de longues semaines à me débarrasser de votre corps contre le mien. Ma peau tout entière hurlait pour vos caresses, mes mains vous ont cherché, ma bouche ne vous a pas trouvé. Il eut été trop salope de vous confesser que, de tous les moments que nous avons passés ensemble, deux ont marqué ma mémoire. Le soir où vous m'avez collée sur votre table pour me prendre comme un hussard, et celui où je vous ai lancé dans une course folle à vélo.
Voilà. Vos yeux clairs, l'impérieuse émanation de votre désir, votre peau si douce et vos bras si durs, votre sourire triste et tous vos actes manqués, tout s'estompe. Votre sexe planté en moi, brutal si j'avais été moins accueillante et moins affamée de vous, mes cuisses en feu après des kilomètres de course, c'est tout ce qu'il reste de vous. Et quelques morceaux de musique.

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