mardi 2 janvier 2018

L'incandescent

Quand tes bras ronds m’ont attirée contre toi, quand ta bouche si grande a recouvert la mienne, quand ta langue rose a effleuré la mienne, j’ai senti dans mon dos le relief de la porte cochère, j’ai senti contre mon ventre la rigidité de ton désir. Ta main tenait ma nuque, l’autre mes reins. Nos corps se sont trouvés dans cette implacable collision.
Quand tu t’es dessapé sans manières et que tu t’es tenu nu devant moi, je n’avais jamais rien vu d’aussi beau. Oubliés les éphèbes et leurs proportions parfaites, tu étais magnifique. Ta peau prenait des reflets mauves dans la pénombre, tes doigts entrelaçaient les miens, ombres jumelles. J’ai enlevé mes vêtements, je me suis allongée et j’ai ouvert les cuisses. Les yeux plantés dans les miens, ton membre planté dans mon ventre, le septième ciel au fond de l’abîme. Tu voulais tout de moi, je t’ai tout donné et tout pris. Pris tes courbes et ta peau douce, pris tes lèvres et ta langue et tes doigts et ton sexe vorace, pris ton temps et le peu de bon sens qu’il nous restait. Rien d’autre n’avait d’importance que nous deux, nous deux emmêlés, nous deux imbriqués. Nous nous endormions l’un dans l’autre, l’un sur l’autre, et nous nous réveillions pour recommencer. Je m’échappais pour être avec toi, quelques minutes. L’été allégeait nos tenues, nos impatiences nous les arrachaient des mains. Rien d’autre n’avait d’intérêt que ta peau, ton odeur, tes mains sur moi.
Le feu couvait sans cesse entre nous. Chaque discussion s’interrompait sur un baiser, un baiser appelait une caresse, une caresse produisait un soupir, un soupir nous faisait basculer. Ma peau se marbrait des marques de nos ébats, et je ne cachais même plus les traces de nos emportements. Je promenais partout les lourds parfums de nos obsessions, je portais ton odeur sur moi, promesse d’autres fracas, je sentais la baise et le stupre. J’allais rédiger des articles, le menton collant de ton sperme, et je léchais, tout l’après-midi, ton goût sur le bout de ma langue. Aux commentaires, j’ai répondu d’un sourire béat, encore affamé. Et je repartais vers toi, tirer de ton gland si rond d’autres larmes de jouissance.
Mon air provenait de tes poumons, ta salive étanchait ma soif, le satin de ton membre dans ma bouche me rassasiait, je ne respirais plus que ta peau et ta voix était ma seule musique. Le rythme de nos corps marquait ma cadence, les battements de cette pompe qui répandait sa lave dans mes reins, soulevait mes cuisses à ta rencontre, et jaillissait dans un cri ruisselant. Je voyais d’inquiétantes ombres passer dans tes yeux noirs. Tu posais ta main si sombre sur mon ventre si blanc et tu disais que c’était beau. Quelques semaines. Le temps coulait au long de mes jambes, implacable clepsydre, et tu en léchais chaque goutte.
Tu me traitais de chatte infernale, et tu me renversais sur le lit trop étroit pour parsemer mon dos de baisers de libellule. Puis quand la torture te tourmentait trop, tu t’enfonçais dans mon ventre avide et nous nous enfoncions ensemble dans les flammes. Je contemplais cet incendie, à peine consciente, pourtant consciente, qu’un jour, tout s’arrêterait. Pour toi, pour moi. Pour nous.
Nous deux, ce n’était rien. Je te regardais et je ne voyais que toi. Nous n’étions pas un couple, mais un tout, une seule chair et  une seule âme, plus grandes, c’est tout. Nous deux, ça n’existait pas. Cet incendie rongeait tout et nous nous y jetions dans des râles de joie. La jouissance nous saisissait à l’unisson. Je ne savais plus où je commençais, où tu finissais. Il me semblait que mes orgasmes te secouaient, il me semblait que tes spasmes m’achevaient, je sentais revenir en moi chacune de tes érections, et le sang m’emplissait en d’obscures contrées où ce n’était plus toi, mais moi qui m’abîmais en de plaisantes moiteurs. J’ai versé des larmes de plaisir sur ta poitrine.
La vie ordinaire est revenue, celle dont nous ne voulions pas, et elle a planté ses crocs dans nos ardeurs. Je n’imaginais pas plus être séparée de toi qu’être avec toi. Cela m’a aidée sans doute. Nos discussions n’avaient aucun sens. Tu voulais continuer, et rien n’avait commencé. Le présent enchanté s’arrêtait. Je trouvais injuste de me sentir plus forte que toi quand tu t’es tu. Plus tard, j’ai entendu les sanglots dans ta voix et j’ai compris. Je me consumais en toi et j’ai sorti mes instruments de bourreau. Je nous ai exécutés. Chaque mot m’a lacérée, et c’est moi qui les ai prononcés. Je nous ai amputés l’un de l’autre. Une dernière fois, je t’ai fait basculer sur le lit, une dernière fois, je t’ai chevauché jusqu’à la glorieuse agonie, une dernière fois, j’ai planté mon regard dans les ombres liquides, inquiétantes de tes yeux noirs et je les ai vus s'emplir de larmes. J’ai fermé la porte sur toi, les cuisses trempées de nos fluides mêlés.

Puis je me suis noyée dans l’abysse où je m’étais jetée, seule, pour n’être plus ta chair et ton âme. J’ai pris des trains indifférents, j’ai griffonné des notes inutiles, ânonné d’insignifiantes notions, rempli d’absurdes pages. J’ai oublié la géographie de mon corps, où tu avais posé tant de caresses, j’ai oublié l’acuité de mon esprit, où tu ne me donnais plus la réplique. J’étais vide de larmes, je n’étais plus que la plaie de ton absence. Mais je me sentais vivante de souffrir autant de toi.

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