Quand tes bras ronds m’ont attirée contre toi, quand ta
bouche si grande a recouvert la mienne, quand ta langue rose a effleuré la
mienne, j’ai senti dans mon dos le relief de la porte cochère, j’ai senti
contre mon ventre la rigidité de ton désir. Ta main tenait ma nuque, l’autre
mes reins. Nos corps se sont trouvés dans cette implacable collision.
Quand tu t’es dessapé sans manières et que tu t’es tenu nu
devant moi, je n’avais jamais rien vu d’aussi beau. Oubliés les éphèbes et
leurs proportions parfaites, tu étais magnifique. Ta peau prenait des reflets
mauves dans la pénombre, tes doigts entrelaçaient les miens, ombres jumelles.
J’ai enlevé mes vêtements, je me suis allongée et j’ai ouvert les cuisses. Les
yeux plantés dans les miens, ton membre planté dans mon ventre, le septième
ciel au fond de l’abîme. Tu voulais tout de moi, je t’ai tout donné et tout pris.
Pris tes courbes et ta peau douce, pris tes lèvres et ta langue et tes doigts et
ton sexe vorace, pris ton temps et le peu de bon sens qu’il nous restait. Rien
d’autre n’avait d’importance que nous deux, nous deux emmêlés, nous deux
imbriqués. Nous nous endormions l’un dans l’autre, l’un sur l’autre, et nous
nous réveillions pour recommencer. Je m’échappais pour être avec toi, quelques
minutes. L’été allégeait nos tenues, nos impatiences nous les arrachaient des
mains. Rien d’autre n’avait d’intérêt que ta peau, ton odeur, tes mains sur
moi.
Le feu couvait sans cesse entre nous. Chaque discussion
s’interrompait sur un baiser, un baiser appelait une caresse, une caresse
produisait un soupir, un soupir nous faisait basculer. Ma peau se marbrait des
marques de nos ébats, et je ne cachais même plus les traces de nos
emportements. Je promenais partout les lourds parfums de nos obsessions, je
portais ton odeur sur moi, promesse d’autres fracas, je sentais la baise et le
stupre. J’allais rédiger des articles, le menton collant de ton sperme,
et je léchais, tout l’après-midi, ton goût sur le bout de ma langue. Aux
commentaires, j’ai répondu d’un sourire béat, encore affamé. Et je repartais
vers toi, tirer de ton gland si rond d’autres larmes de jouissance.
Mon air provenait de tes poumons, ta salive étanchait ma
soif, le satin de ton membre dans ma bouche me rassasiait, je ne respirais plus
que ta peau et ta voix était ma seule musique. Le rythme de nos corps marquait
ma cadence, les battements de cette pompe qui répandait sa lave dans
mes reins, soulevait mes cuisses à ta rencontre, et jaillissait dans un cri
ruisselant. Je voyais d’inquiétantes ombres passer dans tes yeux noirs. Tu
posais ta main si sombre sur mon ventre si blanc et tu disais que c’était beau.
Quelques semaines. Le temps coulait au long de mes jambes, implacable clepsydre,
et tu en léchais chaque goutte.
Tu me traitais de chatte infernale, et tu me renversais sur
le lit trop étroit pour parsemer mon dos de baisers de libellule. Puis quand la
torture te tourmentait trop, tu t’enfonçais dans mon ventre avide et nous nous
enfoncions ensemble dans les flammes. Je contemplais cet incendie, à peine
consciente, pourtant consciente, qu’un jour, tout s’arrêterait. Pour toi, pour
moi. Pour nous.
Nous deux, ce n’était rien. Je te regardais et je ne voyais
que toi. Nous n’étions pas un couple, mais un tout, une seule chair et une seule âme, plus grandes, c’est tout. Nous
deux, ça n’existait pas. Cet incendie rongeait tout et nous nous y jetions dans
des râles de joie. La jouissance nous saisissait à l’unisson. Je ne savais plus
où je commençais, où tu finissais. Il me semblait que mes orgasmes te
secouaient, il me semblait que tes spasmes m’achevaient, je sentais revenir en
moi chacune de tes érections, et le sang m’emplissait en d’obscures contrées où
ce n’était plus toi, mais moi qui m’abîmais en de plaisantes moiteurs. J’ai
versé des larmes de plaisir sur ta poitrine.
La vie ordinaire est revenue, celle dont nous ne voulions
pas, et elle a planté ses crocs dans nos ardeurs. Je n’imaginais pas plus être
séparée de toi qu’être avec toi. Cela m’a aidée sans doute. Nos discussions n’avaient
aucun sens. Tu voulais continuer, et rien n’avait commencé. Le présent enchanté
s’arrêtait. Je trouvais injuste de me sentir plus forte que toi quand tu t’es
tu. Plus tard, j’ai entendu les sanglots dans ta voix et j’ai compris. Je me
consumais en toi et j’ai sorti mes instruments de bourreau. Je nous ai
exécutés. Chaque mot m’a lacérée, et c’est moi qui les ai prononcés. Je nous ai
amputés l’un de l’autre. Une dernière fois, je t’ai fait basculer sur le lit,
une dernière fois, je t’ai chevauché jusqu’à la glorieuse agonie, une dernière
fois, j’ai planté mon regard dans les ombres liquides, inquiétantes de tes yeux
noirs et je les ai vus s'emplir de larmes. J’ai fermé la porte sur toi,
les cuisses trempées de nos fluides mêlés.
Puis je me suis noyée dans l’abysse où je m’étais jetée,
seule, pour n’être plus ta chair et ton âme. J’ai pris des trains indifférents,
j’ai griffonné des notes inutiles, ânonné d’insignifiantes notions, rempli d’absurdes
pages. J’ai oublié la géographie de mon
corps, où tu avais posé tant de caresses, j’ai oublié l’acuité de mon esprit,
où tu ne me donnais plus la réplique. J’étais vide de larmes, je n’étais plus que
la plaie de ton absence. Mais je me sentais vivante de souffrir autant de toi.
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