samedi 31 mars 2018

La pute vengeresse

Parée, préparée, elle a attendu longtemps. Et il n'est pas venu. Ce n'est pas encore un habitué, ils ne se sont vus que deux fois. Là, c'était leur troisième rendez-vous et il ne viendra pas. Le cœur lourd, Belle referme la porte de l'appartement qu'elle a loué, et pas amorti. Si ça se renouvelle, elle va avoir des soucis. Enfin non, à dire vrai, elle a des problèmes de fric et elle n'aime pas ça. Evidemment, il n'a pas prévenu, ne s'est pas excusé.
De retour chez elle, elle envoie quelques messages, prévenir les copines. Peut-on parler de collègues quand on fait commerce de ses charmes ? Oui, on se soutient.
Combler le manque à gagner lui a demandé des efforts les semaines suivantes. Elle vit en équilibre, entre ses besoins et ses revenus. Elle s'en est sortie, à coup de sacrifices. Ne pas se perdre à ce jeu-là, poursuivre ses objectifs. Prendre le fric de ceux qui veulent deux heures de récréation et au moins un orgasme.
Et puis un après-midi, Anna a envoyé un message, avec une photo. C'est lui. Il n'a pas renoncé à son passe-temps, juste changé de prestataire. Fébrile, Belle répond. Faire patienter, le temps que le plan se mette en place. Anna prend la passe. La première est sans conséquence, et il faut bien qu'elle gagne sa vie, elle aussi.
Après le rendez-vous, Belle vient aux nouvelles. Tout s'est bien passé. Et elle commence à avoir un plan. Anna accepte une deuxième rencontre. En général, ils suivent un schéma. Les jours s'écoulent, elle a tout préparé. D'abord l'endroit, prêté par une relation. Ensuite le matériel, et la complicité d'Anna, qui a adoré l'idée.
Quand il arrive, sa putain est enjôleuse, mutine, elle en fait des tonnes. Elle lui sert un verre, ils trinquent. Elle se déshabille, elle est lascive, comme il aime. Puis, c'est le noir.
Il se réveille accroché les bras et les jambes en croix, contre du bois rugueux. Sa tête pend en avant, il éprouve une vague nausée. Il tire furieusement sur ses liens, qui ne cèdent pas, mais ça, il l'avait déjà deviné. Il est nu, il se sent vulnérable. Une main caresse ses fesses exposées. La main s'écarte. Il sent que la personne placée derrière lui s'éloigne. Puis le sifflement d'une lanière et un claquement. Il entend le murmure de cuir qu'on ramène. Sifflement, claquement.
Un fouet.
Elle a un fouet entre les mains et elle le fait claquer à quelques centimètres de sa peau. Tous ses muscles se contractent, il serre les fesses, désespéré, dans l'attente de l'incommensurable peine des coups qui vont pleuvoir sur lui. Il en est certain, elle se prépare à le châtier. Sifflement, claquement, l'attente devient insoutenable. La lanière ne fait que le frôler. Son corps tendu s'abandonne au rythme inlassable du fouet, il anticipe chaque mouvement, le moment où la lanière quitte les mains pour se lancer vers lui. Indolente, elle l'effleure et il en vient à savourer ce bref contact. Le cuir passe sur sa peau et la hérisse. Il attend encore qu'elle le blesse, elle le caresse. Et, à sa grande surprise, il bande comme un âne.
Sifflements et claquements cessent. Un corps se colle au sien, contre son dos. Les deux mains saisissent sa queue engorgée. Un rire.
- Faut pas jouer des tours aux catins. Elles connaissent plus de tours que toi.
Deux doigts décrochent le velcro de sa main gauche. Le temps qu'il se libère, la porte d'entrée a claqué sur un nouveau rire.
Déconcerté, il ramasse ses vêtements, se rhabille et quitte l'appartement.

Les jours suivants, il pense sans cesse à cette étrange mésaventure. Le début était inquiétant, mais il est obligé de s'avouer qu'il a aimé plus que de raison ce qu'il s'est passé ensuite. Il tourne une semaine entière sur son dilemme, puis recontacte Anna.
- Je veux la même chose que la dernière fois.
- Vous êtes sûr ?
- Je paie plus, si c'est ça.
- Si vous payez...

Il arrive en tremblant dans l'appartement. Anna est là, aguicheuse. Elle lui offre un verre, qu'il repousse.
- pas besoin de ça.

Elle le mène dans l'autre pièce et il se laisse déshabiller, attacher. Elle le caresse machinalement.
- pas besoin de ça non plus.
Avec une moue, elle se retire. Il entend l'autre personne entrer dans la pièce, s'approcher, se coller à lui. Une autre femme. Entre eux, le fouet enroulé s'incruste dans son dos, tant elle le serre. Il se détend.
- frappez. Pour de vrai, frappez-moi.
Elle ne répond pas, et recule. Sifflement, claquement, la lanière passe à la hauteur de sa taille.

- frappez.
Le fouet effleure ses épaules. Il les tend vers l'arrière autant qu'il peut. Un ricanement. La lanière s'abat avec plus de force et lui arrache un cri de surprise.
- encore. Plus fort.
Cette fois, les coups pleuvent. Il bande à nouveau. Chaque onde de douleur répand une vie brutale dans ses reins, il brûle, il souffre, il est vivant. Des cris tombent de sa bouche quand le fouet le tourmente, mais il ne sait plus si c'est la douleur ou l'extase qui les font jaillir de sa gorge. Puis tout s'arrête et la femme vient contre lui, et promène ses mains sur son dos zébré. Il se cambre vers ses doigts, haletant.
- une autre fois, trésor.
Elle libère une de ses mains, elle a disparu avant qu'il puisse la voir.

Une nouvelle semaine d'agonie. D'abord, il a du mal à s'asseoir sur les marques qu'a laissées le fouet. Ensuite, il ne pense qu'à recommencer. Il contacte Anna, qui met une éternité à lui répondre. Enfin, elle lui fait signe. Mais elle n'est pas très disponible.

- ce n'est pas vous que je veux, c'est l'autre. Peu importe que vous soyez là.
- elle a besoin de moi pour vous mettre en situation.
- je peux avoir les yeux bandés s'il le faut. Je serai docile.
- je vais lui demander.
Encore trois jours d'attente avant la réponse. Il a une date, et des conditions. Le moment venu, il se tient dans l'appartement, nu, un bandeau sur les yeux, les bras et les jambes en position sur la croix, attaché en trois endroits. Elle s'approche et lie son bras libre.
Et le chant du fouet retentit. Un sifflement et il se tend vers l'arrière, à la rencontre de la lanière, aussi loin que le lui permettent les épais bracelets de cuir. Les gémissement montent à sa bouche et, à mesure que les coups pleuvent, deviennent un sourd grondement. Il bande, il est au bord de l'extase. Et tout s'arrête. Il ne peut retenir un cri de rage.
Un rire lui répond.
- il ne manquerait plus que tu y prennes plaisir.

Il y prend un plaisir écœurant, insensé, animal. Son rire lui dit que ça lui plait à elle aussi. Il voudrait voir son visage, le voir exulter de la joie sauvage du fouet. Elle s'approche et se colle à son dos lacéré.
- c'est fini, trésor, tu as eu ce que tu méritais.
Sa main agrippe le velcro pour le libérer.
- attendez ! Je veux recommencer. Je paierai ce qu'il faut.
- tu y prends trop de goût, ce n'était pas mon idée.
- je sais, Belle.
Elle se recule.
- j'ai reconnu votre voix. Et ça n'a pas d'importance. Je veux recevoir le fouet. De vous.
- ce n'est pas ce dont tu as envie qui compte, trésor.
- vous avez raison. J'ai eu tort et je suppose qu'il est trop tard pour des excuses. Je veux recevoir le fouet de vous, et vous voir le faire.
- ce que tu demandes n'a pas de prix.
- peut-être.
- je n'ai pas dit que je ferais ça pour toi.
Et elle le libère.



1 commentaire:

  1. Un bel exemple de plat qui se mange froid (mais avec le dos qui chauffe)

    toubib

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