jeudi 8 mars 2018

L'ingénue

Sur mon ventre nu, il y a ta tête et l'onde de tes cheveux. Je sais qu'on appelle cette teinte blond cendré, mais, vus de près _ et ils ne peuvent pas être plus près _ tes cheveux de miel ont des reflets d'argent et d'acier. Je les sens me couvrir de leur tiédeur. Moi je ne peux pas bouger. Un pas de trop ou un pas de moins m'a clouée à ce lit, la jambe inutile, douloureuse, plâtrée. Je me lève quatre fois par jour dans des couinements de douleur. Et ça fait trois semaines que tu m'apportes nos devoirs.
Je bosse à la maison, je n'ai pas trop perdu contact avec mes études. Avec mes camarades de classe, oui, mais j'ai treize ans et pas beaucoup d'amis.
Nous avons fini les maths. Ta tête et tes cheveux reposent sur mon ventre. Mon ventre nu. Je ne sais pas où est passé le haut de mon pyjama. J'ai les mains enfouies sur ta nuque dans l'onde soyeuse, métallique. Je me repais de cette tiédeur vivante. Tes  bras collés à mes flancs, ta joue sur ma peau. Nous flottons tout l’après-midi.
Tu viens tous les jours. Ta présence est mon seul lien avec la réalité du collège, avec le fracas des couloirs pleins d’élèves, avec les salles de cours studieuses. Cette réalité s’estompe sous tes cheveux posés sur mon ventre, sous ta bouche. Tes lèvres parsèment des baisers sur ma poitrine. Tes mains posées m’enserrent. Tu soupires. Je sens le poids de ma jambe plâtrée m’enfoncer dans le lit. Je sens ta bouche vagabonde m’évader. Mes doigts parcourent ton dos. Tu viens te nicher au creux de mon cou. Tes cheveux glissent sur mon visage. Leurs chatouilles me font sourire. Je sens ta bouche s’incurver en retour.
La maison bruisse, familière. Un chat gris passe la porte, fait le tour de la chambre, repart. Je tiens tes épaules étroites contre moi, mon bras glisse sur ta taille si fine. De longues mèches se libèrent. Mes lèvres effleurent les tiennes. Je m'écarte. Tu poses ta bouche sur la mienne et nous goûtons ensemble ce premier nectar.
A la fin de la semaine, l’orthopédiste révèle, sous le plâtre qu’il scie de bon cœur, ma jambe atrophiée par un mois d’immobilité. Satisfait de sa réparation, il me refait un autre plâtre. Me voilà à nouveau lestée, mais au moins je peux marcher. Deux béquilles, et vogue le bateau chavirant. Je me retrouve dans les couloirs glissants du collège. Monter les escaliers est une épreuve, chaque changement de salle, une expédition. Personne pour porter mon sac, j’ai refusé que tu le prennes. Je suis ta chevelure d’ondine vers le prochain cours.
Au détour d’un couloir, dans un angle désert, tu jettes mon sac à terre et tu me serres contre toi, de toute la vigueur de ton petit corps. Je me fonds dans ta tiédeur. Ta bouche cherche la mienne, je me détourne. Tu poses tes lèvres résolues sur les miennes. Je n’ai plus de force. Ta langue me caresse, j’ai laissé tomber une béquille. Puis tu fais un pas en arrière, ramasses la béquille et mon sac et nous reprenons le chemin des cours.
Enfin, on libère ma jambe de ce poids mort. Elle est encore plus fine, presque inutile. Je livre au kiné mes pas hésitants pour qu'il les raffermisse. Et je suis, clopin-clopant, tes cheveux sur le carrelage traître, dans les bus de nos fins de journées. Tu viens encore à la maison, et cette fois, nous investissons ma chambre, tout en haut de la maison. Je marche de mieux en mieux et je peux monter les escaliers. Tu m'installes sur le lit, tu me couvres de ta chaleur. Je ne sais pas quel jour, quel après-midi, nos doigts timides ont cessé de s'entrelacer pour commencer à caresser. Je ne sais pas comment ta bouche enchanteresse a trouvé des chemins que j'ignorais, que ma candeur n'avait pas explorés. Et sous tes cheveux de sirène, mes reins sont devenus volcans, mon centre s'est éveillé, et tout mes membres ont vibré. Je ne sais pas quel jour, quel après-midi, tes lèvres ont écarté les miennes, ta langue a trouvé mes premiers plaisirs. Et tremblante, échevelée, j'ai pressé ta tête contre mon ventre, encouragé tes exploits, quêté de nouveaux sursauts.
J'ai parcouru à mon tour chaque centimètre de ta peau. Là, dans le dos, au milieu, un frisson, là sur tes fesses, un autre, plus violent, et sur tes seins menus, et sur tes tétons érigés, plus de frissons encore. Et entre les poils clairsemés de ton pubis, le fruit connu et inconnu où j'allais poser mes baisers, dévorer ton désir, faire jaillir ton plaisir. Ondine, je me suis émerveillée de tes onctueuses voluptés.

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