jeudi 30 mai 2013

Je te déteste XY

Je ne suis pas l'auteure de ce texte : les deux autres mains de Synecdoques l'ont écrit.

Je te déteste. Je n’ai pas le courage de te le dire, mais je te méprise. Je n’arrive même pas à déterminer ce que tu insuffles le plus fort en moi, de la nausée ou de la haine. Je te regarde passer dans les pièces de cette maison qui m’étouffe et j’ai des aigreurs, des bouffées de colère. Puis tu te tournes vers moi et tu me demandes quelque chose, un truc bien terre à terre, bien vulgaire, et je serre les poings très forts. Mais tu as déjà disparu, installé à ton bureau, inconscient et satisfait, dans tes certitudes et ton sérieux ridicules qui ne parviennent plus à cacher que tu t’es engraissé dans cette vie confortable.
Tu ne veux plus sortir, tu n’as pas envie d’aller au théâtre, au concert. Tu t’appuies sur ton travail, sur tes corvées comme sur des béquilles. Tu tapotes, tu tapotes et tu t’égares en d’inutiles tâches domestico professionnelles, fais tu seulement la différence, puis tu t’avachis sur le canapé devant des insanités. Tu souris parfois d’imbécile béatitude, ou te renfrognes d’inutiles soupirs devant le quotidien qui t’incombe. Oh, ce ne sont pas tes « poignées d’amour » ou tes difficultés à désirer, c’est cette existence sédentaire où tu te complais qui m’exaspèrent. Tes difficultés à désirer, c’est ton assurance-affection, ton petit plus si sérieux, le poids du contrat qui nous lie, la masse du boulet que tu es devenu dans mon quotidien.
Tu n’as pas ouvert un livre, un journal, un magazine depuis des années. Sur le bureau s’entassent des notes recopiées, des comptes débutés, des relevés de prix. Je n’appelle pas ça du travail, d’ailleurs il n’y a que des extraits empruntés à wikipedia ou à d’autres que toi dans ce que tu compiles, assembles, bricoles. Mais ça t’a fait plaisir d’écrire et de rédiger le front plissé ces pages pleines de schémas, et moi ça m’a donné envie de vomir. Tu t’intéresses à ton monde intérieur, à cet espace qui se situe à quelques mètres de ton nombril. Souvent, j’ai l’impression d’être plus loin que ça, hors de ta portée, hors de ton champ de vision. Et si tu savais combien j’ai envie en ce moment d’être encore plus loin, beaucoup plus loin !
Je n’ai même pas l’excuse d’avoir envie de te tromper. Aucun autre homme ne m’attire. Aucun homme ne m’attire plus, et surtout pas toi. A coup d’habitudes lasses et de compromissions, tu as fait de moi une inutile au monde. Et je me demande s’il ne serait pas plus confortable de te ressembler. Tu n’as pas plus de désirs que d’attraits, je me morfonds près de toi sans trouver le goût de m’échapper. J’ai appris à me passer de câlins et de tendresse, puisque ta carapace forme un rempart triste et sérieux entre nous. Seul un baiser rapide de tes lèvres toujours sèches marque nos séparations, simulacre d’anciennes amours, comédie d’au-revoir, je crois que je préfèrerais certains jours endurer une cérémonie de funérailles plutôt que cet effleurement racorni de nos bouches.
Que diable ! nous deux, nous aurions pu explorer des montagnes, découvrir d’improbables villes, y promener nos désirs dans des éclats de rires et sourires complices, mais ce genre d’expédition te fait craindre l’éloignement de ton univers construit, soigné, arbres taillés et pelouse nivelée. L’amour, même, c’est languide et humide, c’est plein de sécrétions de surprises et d’innovations mais tu y trouves surtout un champ largement exploré, tu t’es aussi fatigué. La tendresse, c’est aussi un échange de fluides, mais entre nous, il n’y a plus rien qui coule, plus rien qui circule, il n’y a plus la place, entre ce pavillon de banlieue, les deux voitures dans le garage, les déjeuners chez tes parents, les vacances gagnées de haute lutte où tu attends patiemment le retour au quotidien. Certes, on n’a jamais été bien loin. Au début, je te trouvais délicieusement bâtisseur et consciencieux. Maintenant, je te trouve juste lassant, lassé. Et ça m’arrange.
Alors voilà, je contemple notre vie de petits bourgeois et je nous trouve pitoyables. Toi, dans ton bonheur repu, et moi, dans mon infinie lâcheté. Mais le constater, c’est faire le premier pas vers autre chose. Je n’ai pas de reproches à te faire, tu es comme tu as souhaité devenir, de toutes tes forces, pour t’installer dans cet ordinaire familier. C’est moi qui me suis trompée. Je ne veux pas de cette vie, je ne veux pas de toi.

1 commentaire:

  1. Mélange de colère et de haine.
    Colère du constat d'impuissance trop longtemps refoulé.
    Haine de ce qu'il est, lui, l'autre : responsable de tous les maux, et coupable d'être condamné à ne jamais changer.
    Pas facile de savoir si nos émotions sont bonnes ou mauvaises conseillères. Ce qui est sûr, c'est qu'elles n'y vont pas de main morte...

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